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12/02/2021 | FRANCE | N°2020-883

France | France, Conseil constitutionnel, 12 février 2021, 2020-883


LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 19 novembre 2020 par le Conseil d'État (décision n° 439424 du même jour), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour Mme Marguerite P. et autres par la SCP Boulloche, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2020-883 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit du paragraphe IX de l'artic

le 61 de la loi n° 2019-774 du 24 juillet 2019 relative à l'organisatio...

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 19 novembre 2020 par le Conseil d'État (décision n° 439424 du même jour), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour Mme Marguerite P. et autres par la SCP Boulloche, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2020-883 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit du paragraphe IX de l'article 61 de la loi n° 2019-774 du 24 juillet 2019 relative à l'organisation et à la transformation du système de santé.

Au vu des textes suivants :
- la Constitution ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
- le code de la santé publique ;
- la loi n° 2019-774 du 24 juillet 2019 relative à l'organisation et à la transformation du système de santé ;
- le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Au vu des pièces suivantes :
- les observations présentées pour les requérants par la SCP Boulloche, enregistrées le 10 décembre 2020 ;
- les observations présentées par le Premier ministre, enregistrées le 11 décembre 2020 ;
- les secondes observations présentées pour les requérants par la SCP Boulloche, enregistrées le 29 décembre 2020 ;
- les autres pièces produites et jointes au dossier ;
Après avoir entendu M. Philippe Blanc, désigné par le Premier ministre, à l'audience publique du 2 février 2021 ;
Au vu des pièces suivantes :
- la note en délibéré présentée pour les requérants par la SCP Boulloche, enregistrée le 5 février 2021 ;
- la note en délibéré présentée par le Premier ministre, enregistrée le 9 février 2021 ;
Et après avoir entendu le rapporteur ;
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S'EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :

1. L'article 61 de la loi du 24 juillet 2019 mentionnée ci-dessus réforme, à son paragraphe III, la procédure d'instauration des périmètres de protection des captages d'eau potable prévue à l'article L. 1321-2 du code de la santé publique. Le paragraphe IX de cet article 61 prévoit :« Les deuxième à quatrième alinéas de l'article L. 1321-2 du code de la santé publique, dans leur rédaction résultant des a et b du 1° du III du présent article, ne s'appliquent pas aux captages d'eau pour lesquels un arrêté d'ouverture d'une enquête publique relative à l'instauration d'un périmètre de protection a été publié à la date de publication de la présente loi ».

2. Les requérants reprochent à ces dispositions de maintenir, pour tous les captages d'eau pour lesquels un arrêté d'ouverture d'une enquête publique relative à l'instauration d'un périmètre de protection a été publié à la date de publication de la loi du 24 juillet 2019, le régime antérieur à cette loi, alors que le nouveau régime ne permet plus l'instauration d'un périmètre de protection rapprochée pour ceux bénéficiant d'une protection naturelle ou pour certains captages à faible débit. Or, selon eux, en exigeant désormais uniquement un simple périmètre de protection immédiate autour de ces captages, le législateur aurait reconnu que l'adjonction d'un périmètre de protection rapprochée n'était plus nécessaire pour assurer la protection de la qualité de l'eau. La mise en place d'un tel périmètre étant susceptible d'entraîner d'importantes servitudes pour les propriétaires des terrains qui en sont grevés, le législateur ne pouvait dès lors prévoir le maintien du régime antérieur en se fondant sur le seul critère tenant à la publication d'un arrêté d'ouverture d'une enquête publique. Il en résulterait une atteinte disproportionnée au droit de propriété et une méconnaissance des principes d'égalité devant la loi et devant les charges publiques.
- Sur le fond :
3. Selon l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, la loi « doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse ». Le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit.
4. En application du premier alinéa de l'article L. 1321-2 du code de la santé publique, les captages d'eau destinée à la consommation humaine doivent faire l'objet de périmètres de protection délimités par un arrêté préfectoral portant déclaration d'utilité publique en vue d'assurer la protection de la qualité de l'eau qui y est prélevée. L'arrêté préfectoral détermine autour du point de prélèvement un périmètre de protection immédiate au sein duquel les terrains font l'objet d'une expropriation au profit de la personne publique propriétaire du captage. S'y ajoute un périmètre de protection rapprochée portant sur un secteur plus vaste, à l'intérieur duquel des servitudes d'utilité publique peuvent interdire ou réglementer toutes sortes d'« installations, travaux, activités, dépôts, ouvrages, aménagement ou occupation des sols » de nature à nuire à la qualité des eaux captées.
5. Le deuxième alinéa de l'article L. 1321-2 du code de la santé publique, tel que modifié par le paragraphe III de l'article 61 de la loi du 24 juillet 2019, a exclu l'instauration d'un périmètre de protection rapprochée, en plus du périmètre de protection immédiate, lorsque les conditions hydrologiques et hydrogéologiques du captage permettent d'assurer efficacement la préservation de la qualité de l'eau par des mesures de protection limitées au voisinage immédiat. Les deux alinéas suivants de l'article L. 1321-2, dans cette rédaction, excluent également l'instauration d'un tel périmètre pour les captages d'eau d'origine souterraine à faible débit, sauf en cas de risque avéré de dégradation de la qualité de l'eau.
6. En application des dispositions contestées, ce nouveau régime ne s'applique pas aux captages d'eau pour lesquels un arrêté d'ouverture d'une enquête publique relative à l'instauration d'un périmètre de protection a été publié à la date de publication de la loi du 24 juillet 2019. Ces captages sont donc susceptibles de faire l'objet d'un périmètre de protection rapprochée, quand bien même ils répondraient aux conditions mentionnées au paragraphe précédent.
7. Si la différence de traitement qui résulte de la succession de deux régimes juridiques dans le temps n'est pas, en elle-même, contraire au principe d'égalité, le législateur a, en l'espèce, établi une différence de traitement entre les propriétaires de terrains situés à proximité de captages d'eau, selon qu'a ou non été publié, au jour de la publication de la loi, un arrêté d'ouverture d'une enquête publique en vue de l'éventuelle instauration d'un périmètre de protection.
8. Or, le critère ainsi retenu ne rend pas compte d'une différence de situation, au regard de l'objet de la loi modifiant le régime des périmètres de protection, entre les propriétaires qui ne sont pas déjà soumis à un tel périmètre. Il vise, non à éviter la remise en cause des périmètres existants, mais seulement, ainsi qu'il ressort d'ailleurs des travaux préparatoires, à dispenser les personnes publiques ayant engagé une procédure d'instauration de périmètres avant la publication de la loi d'avoir à la reprendre pour la compléter. Toutefois, compte tenu des conséquences limitées de l'application des nouvelles règles sur les procédures en cours, ce motif n'est pas de nature à justifier que les propriétaires en cause soient exclus du bénéfice de ces règles et, de ce fait, soient susceptibles de se voir imposer les servitudes afférentes à un périmètre de protection rapprochée.
9. Il résulte de ce qui précède que les dispositions contestées méconnaissent le principe d'égalité devant la loi. Par conséquent, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres griefs, elles doivent être déclarées contraires à la Constitution.
- Sur les effets de la déclaration d'inconstitutionnalité :
10. Selon le deuxième alinéa de l'article 62 de la Constitution : « Une disposition déclarée inconstitutionnelle sur le fondement de l'article 61-1 est abrogée à compter de la publication de la décision du Conseil constitutionnel ou d'une date ultérieure fixée par cette décision. Le Conseil constitutionnel détermine les conditions et limites dans lesquelles les effets que la disposition a produits sont susceptibles d'être remis en cause ». En principe, la déclaration d'inconstitutionnalité doit bénéficier à l'auteur de la question prioritaire de constitutionnalité et la disposition déclarée contraire à la Constitution ne peut être appliquée dans les instances en cours à la date de la publication de la décision du Conseil constitutionnel. Cependant, les dispositions de l'article 62 de la Constitution réservent à ce dernier le pouvoir tant de fixer la date de l'abrogation et de reporter dans le temps ses effets que de prévoir la remise en cause des effets que la disposition a produits avant l'intervention de cette déclaration. Ces mêmes dispositions réservent également au Conseil constitutionnel le pouvoir de s'opposer à l'engagement de la responsabilité de l'État du fait des dispositions déclarées inconstitutionnelles ou d'en déterminer les conditions ou limites particulières.
11. En l'espèce, aucun motif ne justifie de reporter les effets de la déclaration d'inconstitutionnalité. Celle-ci intervient donc à compter de la date de publication de la présente décision. Elle est applicable à toutes les affaires non jugées définitivement à cette date.

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :

Article 1er. - Le paragraphe IX de l'article 61 de la loi n° 2019-774 du 24 juillet 2019 relative à l'organisation et à la transformation du système de santé est contraire à la Constitution.

Article 2. - La déclaration d'inconstitutionnalité de l'article 1er prend effet dans les conditions fixées au paragraphe 11 de cette décision.

Article 3. - Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.

Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 11 février 2021, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mme Claire BAZY MALAURIE, M. Alain JUPPÉ, Mmes Dominique LOTTIN, Corinne LUQUIENS, Nicole MAESTRACCI, MM. Jacques MÉZARD, François PILLET et Michel PINAULT.

Rendu public le 12 février 2021.


Synthèse
Numéro de décision : 2020-883
Date de la décision : 12/02/2021
Mme Marguerite P. et autres [Mesures transitoires accompagnant les nouvelles dispositions relatives à l'instauration des périmètres de protection des captages d'eau potable]
Sens de l'arrêt : Non conformité totale
Type d'affaire : Question prioritaire de constitutionnalité

Références :

QPC du 12 février 2021 sur le site internet du Conseil constitutionnel
QPC du 12 février 2021 sur le site internet Légifrance

Texte attaqué : Disposition législative (type)


Publications
Proposition de citation : Cons. Const., décision n°2020-883 QPC du 12 février 2021
Origine de la décision
Date de l'import : 10/03/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CC:2021:2020.883.QPC
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